Protection minimale en matière de crédits immobiliers


Avec un retard important notre pays transposera une directive communautaire sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel en l’incluant dans notre Code de la consommation1. Sont concernés les contrats garantis par une hypothèque ou sûreté comparable ainsi que les contrats destinés à l’acquisition d’un terrain ou d’un immeuble existant ou à construire. Cette loi aurait dû s’appliquer depuis le 21 mars de cette année selon la directive européenne mais le projet n‘a été déposé que le 29 juillet à la Chambre des députés. A la demande du Ministre des Finances, l’ULC a adopté un avis détaillé qui regrette que le projet favorise les prêteurs et les courtiers au lieu de protéger pleinement les consommateurs. Pour cette toute première loi luxembourgeoise en la matière, nos autorités auraient pu s’inspirer des législations française et belge qui se soucient bien plus des emprunteurs. La directive impose des obligations harmonisées grâce à une fiche d’information standardisée européenne (FISE) que les prêteurs et intermédiaires devront utiliser. La loi devra s’assurer aussi que la solvabilité des emprunteurs soit correctement évaluée, que des conseils et explications adéquates voire des mises en garde soient fournis par les professionnels pour que le consommateur choisisse le prêt qui lui convient le mieux. Comme pour le crédit à la consommation, l’objectif européen est de promouvoir les « crédits responsables » pour prévenir autant que possible le surendettement et les malheurs humains qui en résultent. En cas de litige, le prêteur devra apporter la preuve qu’il a correctement rempli toutes ses obligations. La Cour de Justice de l’Union Européenne a jugé « qu’un prêteur diligent doit avoir conscience de la nécessité de collecter et de conserver des preuves de l’exécution des obligations d’information et d’explication lui incombant. »2

Pour que le consommateur puisse choisir entre différentes offres et bien évaluer les implications financières d’un contrat immobilier, le projet lui accorde un délai de réflexion de 14 jours calendrier pendant lequel le prêteur est obligé de maintenir les conditions indiquées dans son offre. Selon le Gouvernement, les prêteurs et courtiers pourront se targuer d’offrir des « conseils indépendants » et se faire rémunérer en remplissant certaines conditions. En invoquant les législations des pays voisins, l’ULC s’y oppose vigoureusement car nous y voyons un risque sérieux de tromperie des candidats emprunteurs. Parmi nos autres inquiétudes figure la disposition permettant « la conclusion d’un contrat de crédit immobilier dans lequel le prêteur convient avec le consommateur d’un taux variable dont la détermination résulte de facteurs autres que la référence à un indice ou à un taux de référence ». Dans son avis, l’ULC sollicite l’obligation de mentionner expressément quels sont ces facteurs. A défaut, le contrat enfreindrait les dispositions du Code de la consommation relatives aux clauses abusives en accord avec la jurisprudence communautaire : « L’exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible doit s’entendre comme imposant non seulement que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également que le contrat expose de manière transparente les modalités de calcul des intérêts annuels du crédit, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent. »3

Autre sujet qui nous préoccupe et où l’ULC espère un renforcement du projet grâce à des amendements parlementaires : le remboursement anticipé du crédit. Notre Service de Réclamation est régulièrement saisi de plaintes concernant des indemnités excessives dont le calcul est rarement détaillé dans les contrats. Le projet dispose que « lorsque le contrat de crédit immobilier a été contracté en vue de l’acquisition d’un logement qui a servi d’habitation effective et principale au consommateur pendant une période ininterrompue de deux ans au moins, l’indemnité ne peut en aucun cas excéder la valeur correspondant à six mois d’intérêts sur le capital remboursé calculés au taux débiteur applicable au contrat de crédit immobilier le jour du remboursement anticipé ». La notion de « en vue de l’acquisition d’un logement » semble indiquer que l’indemnité n’est pas plafonnée pour un prêt destiné à l’acquisition d’un terrain voire la construction d’un immeuble. Selon l’exposé des motifs, on a suivi la pratique la plus répandue dans nos pays voisins, plus particulièrement la législation française. Or, si cette dernière stipule également un plafond de 6 mois d’intérêts sur le capital remboursé, il est calculé au taux moyen du prêt et ne paraît pas limité au cas d’acquisition d’un logement dans lequel l’emprunteur doit habiter lui-même pendant une durée minimum. Par ailleurs, l’indemnité ne peut en aucun cas dépasser 3% du capital restant dû et aucune indemnité n’est due en cas de remboursement anticipé si l’emprunteur ou son conjoint doit vendre le logement suite à un changement de lieu de travail, est contraint de cesser son activité professionnelle ou décède. La loi belge prévoit elle-aussi plus de garanties pour l’emprunteur que le projet luxembourgeois, notamment que l’indemnité ne peut excéder trois mois d’intérêts et les cas dans lesquels aucune indemnité n’est due. L’ULC demande de lever les conditions restrictives du projet et de préciser les cas dans lesquels aucune indemnité n’est due. Pour tous les cas non plafonnés, le contrat doit mentionner de façon claire et concise le mode de détermination de l’indemnité qui doit être « équitable, objectivement justifié et ne pas dépasser la perte financière du prêteur ». Cette disposition laisse toute marge d’appréciation aux banques et autres prêteurs et risque de ne guère améliorer les pratiques actuelles dont nos membres se plaignent régulièrement.

En cas de retards de paiement et de saisie, la directive oblige les Etats membres à prendre des mesures garantissant une tolérance raisonnable des prêteurs. Même si le projet rejette les clauses pénales permettant d’exiger un montant dépassant le préjudice réel du prêteur, il se limite à inviter le secteur à faire preuve d’une tolérance raisonnable avant toute saisie en renvoyant à une Circulaire de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) qui n’est pas spécifique aux contrats de consommation.

Dernière illustration du déséquilibre du projet au détriment des consommateurs, les sanctions civiles. Comme pour le crédit à la consommation, « toute clause ou toute combinaison de clauses d’un contrat de crédit immobilier, conclue en violation du présent chapitre et de ses règlements d’exécution, est réputée nulle et non écrite. Cette nullité ne peut toutefois être invoquée que par le consommateur ». Si des dispositions essentielles ont été enfreintes par le prêteur ou l’intermédiaire, tout le contrat peut être annulé avec comme conséquence que le consommateur doit restituer le crédit. S’il a commencé, par exemple, à faire construire un bien immobilier, il se retrouvera dans une situation délicate voire inextricable vis-à-vis de ses cocontractants. Au lieu de pénaliser le prêteur ou l’intermédiaire en infraction, c’est le consommateur qui risque de « payer les pots cassés ». En France le prêteur peut être déchu d’une partie voire de la totalité du droit aux intérêts selon la gravité de l’infraction, l’emprunteur n’étant tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu.

1 Document parlementaire N° 7025 disponible sur www.chd.lu
2 Arrêt du 18 décembre 2014 dans l’affaire C-449/13 CA Consumer Finance SA
3 Arrêt de la CJUE du 9 juillet 2015 dans l’affaire C-348/14 Maria Bucura