Avis de l'ULC : Propositions de Directive relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation et de Règlement relatif au règlement en ligne des litiges de consommation (10.01.2012)


Le présent avis se concentre sur la proposition de directive qui fixe le cadre général du règlement extrajudiciaire (ADR en anglais) et qui s’applique également au règlement en ligne (ODR en anglais), ce dernier s’efforçant d’introduire en plus des règles de fonctionnement adaptées à l’ODR, plus particulièrement pour les litiges transfrontaliers.
 
La proposition de directive demande aux Etats membres de mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires (Art. 22.1) pour que tout litige B2C de nature contractuelle qu’il soit national ou transfrontalier puisse être soumis à une procédure de règlement extrajudiciaire (REL). Sont visées tant les procédures dans lesquelles une tierce partie propose ou impose une solution que celles où une tierce partie facilite seulement la recherche d’une solution amiable entre les parties elles-mêmes. La proposition fusionne donc les Recommandations 98/257/CE (intervention active d’une tierce personne qui propose ou impose une solution) et 2001/310/CE (résolution consensuelle, à savoir médiation au sens strict). Elle répond à l’invitation du Conseil d’Etat [1] qui «relève que les Recommandations citées sont dépourvues de force juridique et qu’elles n’ont pas fait l’objet d’une transposition autonome en droit luxembourgeois. Si le législateur entend instituer un tel mécanisme de résolution extrajudiciaire des litiges de consommation, il devra prévoir un cadre spécifique et complet. »
 
L’ULC se félicite de l’objectif communautaire recherché, à savoir forcer les Etats membres d’introduire un cadre juridique cohérent pour les instances extrajudiciaires existantes (fort peu nombreuses dans notre pays) mais aussi « veiller » à ce que tous les litiges B2C de nature contractuelle puissent être soumis à un REL ou, à défaut, en obligeant les Etats membres de s’assurer de « l’existence d’une organe REL supplétif compétent pour traiter les litiges qui ne relèvent d’aucun REL existant »
 
(Art. 5.3). A ce jour le Ministère de l’Economie (responsable de la Consommation) n’a notifié à l’Union Européenne que 5 instances dont certaines ne remplissent pas les critères de la proposition de directive. Il en est ainsi du Centre de Médiation du Barreau de Luxembourg (CMBL) qui ne remplit manifestement pas l’exigence de l’Art. 8 (c), à savoir « la procédure de REL est gratuite ou peu onéreuse pour les consommateurs ». Les conditions du CMBL stipulent que « pour tout litige inférieur à 15 000 €, le Centre de Médiation met en compte un montant forfaitaire hors TVA de 600 € dont 150 € à titre de frais d’ouverture de dossier et 450 € à titre d’honoraires pour le médiateur [2]»

Concernant la mise en place d’une instance de compétence générale, nous attirons l’attention sur l’intention du gouvernement belge de créer un service commun de médiation où les consommateurs pourraient adresser leurs doléances, étant donné que trop d’instances de médiation et d’ombudsman existeraient actuellement en Belgique[3]. Notre gouvernement est invité à s’en inspirer.
 
Si l’objectif de la Commission est donc louable – encore qu’il soit peu clair de quels pouvoirs la Commission disposera pour forcer les différents Etats membres de mettre en place pratiquement ces structures de REL qu’il faudra notamment financer au risque d’imposer sinon de nouvelles charges inacceptables aux organisations de consommateurs -, l’ULC exprime ses plus vives réserves quant aux règles de fonctionnement proposées.
 
En premier lieu, en fusionnant les Recommandations 98/257/CE et 2001/310/CE en un seul texte législatif, la Commission néglige que les principes juridiques ne sont pas nécessairement les mêmes selon qu’il s’agit d’un REL de médiation (résolution consensuelle) ou d’un REL dans lequel la tierce partie propose ou impose une solution aux parties en litige. Il en est ainsi plus particulièrement du Principe de Légalité (Principe V de la Recommandation 98/257/CE) qui doit être respecté dans le cas d’un REL proposant / imposant une solution[4] mais non en cas de résolution consensuelle où l’équité permet que « la solution proposée peut être moins favorable que l’issue devant un tribunal qui appliquerait des règles légales [5] ». L’ULC a débattu de ce principe fondamental dans un échange avec l’Institut Luxembourgeois de Régulation (ILR) concernant le Règlement 11/151/ILR sur la médiation en matière de services de communication électroniques. L’ILR a souligné finalement qu’il « ne s’agit point de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi mais de proposer une solution à un litige sur base de dispositions légales générales ou spéciales, sinon de statuer en équité en cas de vide juridique ». La confiance des consommateurs vis-à-vis des tierces personnes proposant ou imposant une solution extrajudiciaire ne se justifie, en effet, que s’ils peuvent compter que l’équité leur apporte, le cas échéant, une solution plus favorable que l’application stricte du droit mais sûrement pas une solution moins favorable que les règles obligatoires.L’ULC s’élève donc vivement contre l’abandon pur et simple du principe de légalité dans la proposition de directive qui stipule « que la solution proposée peut être moins favorable que la décision d’un tribunal appliquant les dispositions légales en vigueur » (Art. 9.2. (a) ii)). Il s’en suit que la proposition est en retrait par rapport à la Recommandation 98/257/CE sur l’un des principes les plus importants.
 
Il en découle, d’ailleurs, une incohérence et source d’insécurité juridique essentielle en matière de REL intervenant dans des litiges transfrontaliers. Alors que l’Art. 3.1. de la proposition stipule que « la présente directive s’applique sans préjudice….du règlement (CE) n° 593/2008 », le fait de ne pas insister sur le respect du principe de légalité risque d’aboutir au non respect de l’Art. 6(2) du Règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles. En effet, le principe de légalité précise fort utilement que « s’agissant de litiges transfrontaliers, la décision de l’organe ne peut avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi de l’Etat membre dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle, dans les cas prévus à l’article 5 de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles » (disposition remplacée depuis par l’article 6.2. du Règlement Rome I).

Ce risque est d’autant plus élevé qu’en cas de litige transfrontalier, le cas sera (sauf exception) traité par un REL du pays d’origine du professionnel qui sera amené tout naturellement à statuer selon son propre droit national. Les règles de coopération au sein du réseau des Centres Européens des Consommateurs (CEC) prévoient, d’ailleurs, aussi qu’il incombe au CEC du pays du professionnel (et non à celui du pays du consommateur lésé) de traiter le fond du litige même s’il est prévu que le CEC du pays du consommateur fournisse, le cas échéant, des informations sur les dispositions protectrices de ce pays. En pratique, tout indique cependant que, sauf exception, les cas transfrontaliers seront tranchés par les REL sur base des règles et traditions du pays d’origine du professionnel. En clair, l’insistance des organisations de consommateurs de faire prévaloir au maximum l’application des règles contractuelles du pays de résidence du consommateur, risque d’être annihilée par les propositions relatives aux ADR & ODR.

En deuxième lieu, l’ULC se demande s’il n’est pas pertinent de limiter le champ d’application des propositions ADR & ODR aux REL qui proposent ou imposent une solution et d’en exclure les REL qui réunissent « les parties pour faciliter la recherche d’une solution amiable » pour la bonne et simple raison que ce dernier cas de résolution consensuelle sera couvert en principe par les dispositions nationales transposant la Directive 2008/52/CE sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale. Les propositions ADR & ODR prévoient bien qu’elles sont sans préjudice de la Directive 2008/52/CE (Art. 3.1) mais ne précisent nullement comment ces différents textes communautaires devront coexister au plan national. Ceci est d’autant plus regrettable que les propositions ADR & ODR ne reprennent pas certains principes fondamentaux imposés par la Directive 2008/52/CE comme le caractère exécutoire des accords issus de la médiation (Art. 6) et les effets sur les délais de prescription (Art. 8).
 
Concernant le caractère exécutoire, la Directive relative à la médiation requiert que l’accord entre parties puisse être rendu exécutoire tout en laissant aux Etats membres le choix de la procédure (jugement, décision administrative, acte authentique). Les propositions ADR & ODR devraient non seulement reprendre cette disposition pour la médiation dans un souci de cohérence juridique mais requérir aussi que les Etats membres la prévoient pour les procédures dans lesquelles une tierce partie propose ou impose une solution du litige. Il en est déjà ainsi dans un certain nombre d’Etats membres de même tradition juridique comme pour les décisions des Centres d’Arbitrage de la Consommation au Portugal ou encore des Juntas Arbitrales de Consumo en Espagne.
 
Des règles communes en matière de suspension de la prescription (quant aux délais d’action en justice) suite à l’intervention de REL sont nécessaires pour éviter que le recours aux REL prive les consommateurs d’une action éventuelle devant les tribunaux. Compte tenu que les propositions ADR & ODR portent sur les litiges de nature contractuelle, l’ULC demande de reprendre dès-à-présent dans ces propositions les Articles 181 (suspension des délais de prescription en cas de procédure judiciaire ou extrajudiciaire) voire 182 (prorogation du délai en cas de négociations[6]) contenus dans la proposition de Règlement relatif à un droit commun européen de la vente.[7] Nous rappelons l’importance de cette question à la lumière de notre expérience malheureuse concernant l’affaire Best Tours (litige transfrontalier belgo-luxembourgeois en matière de voyages à forfait) où les consommateurs ont été privés de leur droit à cause de l’absence et de la non harmonisation des règles de prorogation/suspension des délais de prescription[8].

Concernant d’autres règles proposées, l’ULC rappelle que les obligations de transparence des REL, notamment la mise à disposition du public de rapports annuels (Art. 7.2), amélioreront le fonctionnement des REL dans notre pays. La Commission ne propose cependant qu’une diffusion de données statistiques alors qu’il serait utile de publier (sous forme anonyme si les parties le souhaitent) des décisions de principe (voir l’exemple de «Decisions of a guiding nature » au Danemark)). Même si l’objectif du règlement extrajudiciaire est de rechercher des solutions individuelles, certaines décisions importantes devraient permettre l’élaboration d’une sorte de jurisprudence REL dont les consommateurs et les professionnels pourront s’inspirer dans d’autres différends.
 
Concernant le délai pour arriver à des solutions, l’ULC s’étonne que la proposition ADR prévoie 90 jours à compter de la date de la réclamation (Art. 8 (d)), délai qui peut être encore prolongé alors que la proposition ODR stipule la clôture de « la procédure de résolution du litige dans les trente (30) jours suivant l’introduction du recours si les parties conviennent d’introduire un tel recours… » (Art. 9 (b)). S’il est vrai que les moyens de communication usuels des procédures de ADR (courriers par la poste, réunion des parties…) prennent plus de temps que les communications via internet utilisées pour ODR, il n’empêche que d’autres facteurs comme la traduction de pièces voire de textes législatifs/ réglementaires ou encore les questions de droit applicable et d’interprétation du droit devraient peser davantage en matière de ODR qui se prête spécialement aux litiges transfrontaliers.
 
Concernant précisément la proposition de Règlement ODR, l’ULC accueille favorablement l’objectif d’un système pratique grâce à la mise en place par la Commission d’une plate-forme de REL en ligne dont l’accès sera interactif, gratuit et disponible dans toutes les langues officielles de l’Union Européenne. Il est notamment proposé que cette plateforme «  communique aux parties les informations relatives à l’organe ou aux organes de REL qu’elle a désignés comme compétents » (Art. 7.3). Ce choix se fera sur base des informations figurant sur le formulaire électronique de réclamation (Art. 5.3. b), l’annexe précisant que parmi ces informations doit figurer «  les organes de REL auxquels le professionnel s’engage à recourir … ». En clair, en cas de litige transfrontalier la plateforme de la Commission désignera en règle général un REL établi dans le pays d’établissement du professionnel. Du point de vue pratique, cela pourra se justifier car il sera plus facile de faire exécuter une décision d’un REL du pays du professionnel mais d’un point de vue du droit (prééminence des règles plus protectrices du pays de résidence du consommateur) aucune disposition ne figure dans la proposition ODR pour veiller au respect de cette garantie, notamment en application des critères de la Cour de Justice de l’Union Européenne relatifs aux « activités dirigées » vers le(s) pays des consommateurs (affaires jointes C-585/08 Pammer et C-144/09 Hotel Alpenhof).
 
En conclusion, tout en saluant l’initiative de promouvoir le règlement extrajudiciaire B2C, l’ULC doute que l’objectif d’une plus grande confiance dans le marché intérieur (considérants 2 et 4 de la proposition ADR) puisse être atteint par des propositions ADR & ODR qui se veulent pragmatiques mais manquent de clarté et de cohérence juridiques.
 
 
 
Howald, le 10 janvier 2012

 


[1]Avis du 5.7.2011 sur le projet de loi transposant la Directive 2008/52/CE sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale (voir p. 9 de l’avis)
[2]cf. l’avis de l’ULC N° 6272 (1) sur le projet de loi relative à la médiation ( p. 2 coût de la médiation).
[3] cf. journal « Le Soir » du 10 janvier 2012
[4]«considérant que les organes extrajudiciaires peuvent décider non seulement sur la base de dispositions légales mais aussi en équité et sur la base de codes de conduite ; que, toutefois, cette flexibilité à l’égard du fondement de leurs décisions ne doit pas avoir comme résultat de diminuer le niveau de la protection du consommateur par rapport à la protection que lui assurerait, dans le respect du droit communautaire, l’application du droit par les tribunaux »
[5] voir principe D. Equité de la Recommandation 2001/310/CE
[6]hélas les négociations directes échappent au champ d’application des proposition ADR & ODR.
[7] COM(2011) 635 final du 11.10.2011
[8] cf. article dans DCCR (Droit de la Consommation) janvier-février-mars 2010