Développement du droit de la consommation grâce à l’Europe


Lors des célébrations récentes du 60e anniversaire de la signature du Traité de Rome qui a jeté les bases de l’Union Européenne (UE) actuelle, notre Premier Ministre a souligné que « L’UE a largement amélioré la vie quotidienne de ses citoyens ». Qu’en est-il plus précisément de la protection des consommateurs ? Sans l’Europe le droit de la consommation ne se serait pas développé aussi solidement qu’il ne l’a fait aux cours des quarante dernières années. Un bref rappel historique s’impose au moment où des forces anti-européennes se font entendre de plus en plus. Le droit européen de la consommation trouve sa source essentielle dans le programme préliminaire d’avril 1975 pour une politique de protection et d’information des consommateurs qui a énoncé cinq droits fondamentaux : droit à la protection de la santé et de la sécurité, droit à la protection des intérêts économiques des consommateurs, droit à la réparation des dommages, droit à l’information et à l’éducation, droit à la représentation. C’est sur cette base que de nombreuses directives européennes d’harmonisation ont vu le jour depuis le début des années quatre-vingts à tel point que la doctrine s’est interrogée, à la fin des années quatre-vingt-dix, sur la faisabilité d’un Code européen de la consommation. Cette question est de nouveau sur la table alors que la valeur et la pertinence des dispositions actuelles pour l’économie digitale sont examinées (« fitness check »). Notre pays a pris les devants en introduisant dès avril 2011 un Code de la consommation regroupant l’essentiel des directives de protection économique et juridique des consommateurs. N’oublions cependant pas de rendre hommage à nos gouvernements de la fin des années soixante-dix et quatre-vingts qui ont fait adopter en 1983 et 1987 deux lois fondamentales relatives à la protection juridique du consommateur qui ont inspiré les travaux européens.

Face aux pressions des milieux professionnels préconisant une déréglementation pour, disent-ils, accroître la compétitivité dans un monde globalisé, il est bon de rappeler le crédo de nos gouvernements d’antan qui reste plus actuel que jamais : « L’autonomie des volontés ne saurait être reconnue qu’autant qu’il s’agit de volontés effectivement libres. L’abus consistant de la part d’une personne économiquement, techniquement ou intellectuellement forte à imposer sa volonté à un partenaire qui malgré son égalité juridique de principe n’est pas en fait à même d’y opposer une volonté d’égale force constitue un détournement du droit et comme tel ne saurait être reconnu dans une société qui entend faire prévaloir la primauté du droit ».

La Cour de Justice de l’UE reste le meilleur garant de la protection du consommateur comme la partie contractuelle la plus faible et le rappelle systématiquement en allant jusqu’à exiger que le juge national saisi d’un litige soulève d’office des dispositions impératives de protection du consommateur, plus particulièrement en matière de clauses abusives.

Concernant l’impact du droit européen sur notre législation, les directives en matière de services financiers ont notamment fait bouger notre droit qui reste très en retard comparé aux pays voisins de même tradition juridique comme la France et la Belgique. Mais chaque fois notre législateur se contente de transposer le minimum requis comme récemment en matière de crédit immobilier et de tarifs bancaires ainsi que de droit d’accès à un compte de paiement. Autre domaine dans lequel le droit européen a obligé nos autorités à innover. La transposition de la directive relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation a finalement permis la mise en place d’un vrai système de médiation/conciliation alors que jusque là seules des initiatives lancées par l’ULC avec l’un ou l’autre secteur professionnel avaient balisé le terrain. Trois mois après l’ouverture du Service national du Médiateur de la consommation (SNMC) 93 demandes ont été introduites. D’après le Médiateur, les premiers résultats sont très encourageants : sur les dix processus qui ont abouti, tous ont été un succès dans la mesure où les parties ont à chaque fois pu trouver un arrangement à l’amiable1.

Nous participons activement à Bruxelles aux travaux visant à moderniser et simplifier le droit de la consommation sans remettre en cause son niveau de protection. Fin mai la Commission devrait publier son rapport sur le « fitness check » des directives concernant les pratiques commerciales déloyales, le droit des contrats, les clauses abusives, les procédures d’injonction. Le défi est énorme car le monde digital se mue presque quotidiennement avec des modes d’offres, de communication, de distribution et de consommation nouveaux insuffisamment appréhendés par le droit actuel (plateformes en ligne, économie collaborative, services offerts en contrepartie de données personnelles, objets connectés digitalement, assistants digitaux personnels à domicile,…). Est-ce que l’Europe trouvera ensemble les réponses adéquates qui doivent protéger sans freiner l’innovation ? Certains pays ont déjà pris les devants comme la France qui a adopté en octobre 2016 une loi pour une République numérique ou encore l’Allemagne qui travaille activement à de nouvelles règles adaptées au monde digital.2 Et puis, les habitudes de consommation n’évoluent pas partout en Europe à la même vitesse, les pays scandinaves étant manifestement parmi les précurseurs en matière digitale.

Pour que l’Europe puisse trouver une réponse satisfaisante, il faut jouer cartes sur table ce qui nous ramène au coeur du désamour actuel : la confiance insuffisante des uns envers les autres et la volonté d’avancer les propres pions nationaux au lieu de se faire freiner par les lourdeurs du processus communautaire dues, hélas, souvent à la réticence des autorités nationales.


  1. Interview du Médiateur, M. Fellens, dans « légimag » N° 17, mars 2017
  2. cf. notamment Gutachten des Sachverständigenrats für Verbraucherfragen « Verbraucherrecht 2.0- Verbraucher in der digitalen Welt, décembre 2016.