Projet de loi modifiant le Code de la consommation (doc. parl. N° 6478)


Commentaire de l’ULC concernant l’avis du Conseil d’Etat

Dans son avis du 14 mai le Conseil d’Etat n’émet pas des objections ou remarques de nature à remettre en cause le projet de loi si ce n’est au sujet de la vente de porte en porte dont les modalités pratiques (affichage d’un autocollant, inscription sur une liste) nécessitent de toute manière un débat approfondi à la Chambre des députés compte tenu des doutes et propositions exprimés dans la plupart des avis (ULC, Chambre de commerce, Chambre des métiers,…).

Concernant le nouveau régime proposé pour la vente de porte en porte, à savoir le droit du consommateur d’afficher à l’entrée de sa porte son opposition à tout démarchage, le « Conseil d’Etat, surtout au vu des sanctions substantielles prévues à l’encontre des pratiques commerciales agressives, doute de l’utilité de cette ajoute ». Le Conseil d’Etat fait cette remarque par rapport à l’article L.122-7 point 2 alors que le droit d’afficher un autocollant est prévu en fait à l’article L.222-8 (1). Le Conseil d’Etat ne dit mot au sujet de l’alternative proposée, à savoir l’inscription sur une liste. Ce silence est regrettable. Le Conseil d’Etat est d’avis que la récente loi du 21 février 2013 portant incrimination de l’abus de faiblesse « fait œuvre de barrière à une certaine forme d’abus ».

Le Conseil d’Etat a raison de poser la question de l’utilité de l’apposition d’un « autocollant, d’une vignette ou de toute autre indication ad hoc sur la porte d’entrée… ». Selon l’exposé des motifs des auteurs du projet de loi « la nullité du contrat peut être invoquée par le consommateur qui a manifesté au préalable (souligné par nous) son refus de la manière indiquée quand bien même lui-même ou son représentant aurait souscrit au contrat ». Ceci impliquerait que le consommateur ne pourrait pas invoquer la nullité d’un contrat s’il n’a pas manifesté son refus visiblement et clairement avant d’ouvrir la porte à un démarcheur. Or tel n’est pas le cas sous le régime actuel. En effet, l’article L.122-8 (2) du Code de la consommation stipule que « toute clause ou toute combinaison de clauses d’un contrat, conclue en violation du présent titre, est réputée nulle et non écrite. Cette nullité ne peut toutefois être invoquée que par le consommateur ». Or que dit notamment l’article L.122-7 (2) actuel : « Effectuer des visites personnelles au domicile du consommateur » constitue une pratique commerciale agressive réputée déloyale en toutes circonstances et permet d’ores et déjà d’invoquer la nullité d’un contrat conclu dans ces circonstances. Il ne faut donc pas manifester au préalable son refus mais il suffit de le faire sur le moment.

A quoi bon alors cette manifestation expresse du refus de démarchage ? Essentiellement pour alléger la charge de la preuve du consommateur. Prenons l’exemple d’une personne âgée qui se laisse persuader de signer un contrat pour repeindre sa façade. Comment pourra-t-elle prouver qu’elle n’en a pas voulu et qu’elle a invité infructueusement le démarcheur de s’en aller avant de signer quand-même sous sa pression psychologique ?
Si au contraire ce consommateur avait affiché son refus sur la porte d’entrée ou sa boîte à lettres, il aurait sûrement plus facile de s’appuyer p.ex. sur les témoignages de voisins confirmant que cet autocollant ou cette vignette existaient bien avant que le pauvre consommateur se soit laissé amadouer par le professionnel.

Nous soutenons la proposition de la Chambre des métiers « d’uniformiser cette manifestation de volonté afin de lui donner plus de force  et de préciser les modalités de cette manifestation de volonté par règlement grand-ducal afin d’éviter toute contestation concernant la validité et la date de cette manifestation ». Dans le même sens la Chambre de commerce préconise « qu’une formulation spécifique du refus ainsi qu’un format standard et uniforme pour tous les consommateurs soient définis ».

Tant la Chambre de commerce que la Chambre des métiers se prononcent contre l’inscription sur une liste de refus d’être démarché, la Chambre de commerce s’interrogeant « sur la gestion, la diffusion et l’accessibilité des listes des consommateurs regroupant les personnes ne souhaitant pas être démarchées ». L’inscription sur une liste tenue p.ex. par le Ministère de l’Economie et accessible via son site internet ne devrait cependant guère poser d’objection au regard de la protection des données privées. Tant les démarcheurs luxembourgeois que frontaliers (principale source de problèmes selon l’exposé des motifs des auteurs du projet) seraient dans l’obligation de la consulter. Une telle inscription fournirait aux consommateurs concernés la preuve manifeste de leur refus de principe contre toute vente de porte en porte et serait une aide appréciable en cas de litige relatif à tout contrat conclu. Il sera utile de s’inspirer aussi de la liste belge récemment adoptée concernant les démarchages téléphoniques (« Ne m’appelez plus » sur www.ne-m-appelez-plus.be).

Le Conseil d’Etat préfère des sanctions pénales aux sanctions civiles mais son renvoi à la récente loi relative à l’abus de faiblesse n’est pas convaincante, d’autant moins vis-à-vis « d’individus agissant en transfrontière, que leur qualité est invérifiable …et lorsqu’un colporteur non identifié a encaissé la totalité de la somme réclamée au consommateur et s’est ensuite immédiatement réfugié de l’autre côté d’une des trois frontières bordant notre pays… ». Des poursuites pénales au-delà de nos frontières resteront essentiellement une sanction théorique. Il est vrai que des actions civiles ne seront pas nécessairement plus faciles mais l’expérience montre que la coopération entre les autorités de tutelle des pays voisins a déjà montré son efficacité (notamment vis-à-vis de courtiers enfreignant le droit relatif au crédit à la consommation).

Nous nous félicitons que le Conseil d’Etat s’oppose formellement à l’intention de retarder la mise en œuvre de la loi jusqu’au 13 juin 2014 (expiration du délai de transposition de la Directive droits des consommateurs), ce retard étant destiné à maintenir d’ici-là le régime d’interdiction du colportage, de la vente ambulante, de l’étalage de marchandises et de la sollicitation de commandes. Le Conseil d’Etat note à juste titre que cette interdiction est en conflit avec le droit communautaire. Pour rappel, le Luxembourg risque des poursuites devant la Cour de Justice de l’Union Européenne.

Parmi les points positifs de l’avis du Conseil d’Etat, nous retenons notamment l’appui qu’il donne à l’ULC quant au régime linguistique concernant les informations précontractuelles. Le Conseil d’Etat « se demande pourquoi les auteurs n’ont pas fait usage de l’article 6 paragraphe 7 de la directive qui permet aux Etats membres de recourir à un certain régime linguistique ». Pour rappel, la position de l’ULC :

« Comme le soulignent les auteurs du projet, il n’est pas exclu qu’un tribunal décide qu’un contrat /bon de commande/conditions générales rédigé dans une langue que le consommateur ne comprend pas, doive être considéré comme inopposable au consommateur. La jurisprudence actuelle illustre cependant qu’à de nombreuses reprises les tribunaux ont décidé que des personnes qui ne comprenaient pas le contrat rédigé dans une langue qu’elles ne maîtrisaient pas, étaient néanmoins tenues car elles n’auraient pas dû le signer si vraiment elles ne l’avaient pas compris. L’ULC est donc d’avis que la sécurité juridique ne pourra qu’être renforcée en stipulant que les informations pré- et contractuelles des professionnels exerçant leur activité professionnelle dans notre pays ou y dirigeant leur activité par tout moyen (conformément à l’art. 6 du Règlement (CE) N° 593/2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles) doivent être rédigées dans une des langues usuelles dans notre pays ».

Nous nous félicitons aussi que le Conseil d’Etat ne formule aucune remarque relative à la sanction-clef proposée à l’article L.112-1 (6) « Le non-respect d’une ou plusieurs obligations d’informations essentielles peut entraîner la nullité du contrat. Cette nullité ne peut toutefois être invoquée que par le consommateur ». La Chambre des métiers s’est prononcée pour la suppression de cette sanction « en application du principe ‘toute la directive, rien que la directive’ » en méconnaissant l’obligation faite par la directive aux Etats membres de déterminer le régime de sanctions applicables (art. 24.1). Le Conseil d’Etat demande cependant de substituer le terme « caractéristiques essentielles » par le terme de la directive « principales caractéristiques » ce qui pose problème. En effet, ces derniers termes ne se rapportent qu’à une catégorie d’informations à fournir (point a) de l’article 5.1. de la directive) alors que le terme du projet couvre toutes les catégories d’informations imposées par l’article 5 et a été choisi pour limiter la sanction de nullité  au seul non respect d’ « informations essentielles ». Nous n’y voyons aucun dépassement des prérogatives de transposition mais une application judicieuse du pouvoir législatif de fixer librement des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives » (art. 24.1. de la directive).

Les critiques du Conseil d’Etat relatives à l’article L.213-2 (livraison des marchandises) nous semblent malvenues et nous demandons de ne pas suivre son avis.

De même, les critiques quant à l’application de certaines dispositions aux contrats de transport (moyens de paiement, paiement supplémentaire) sont infondées car si ces contrats tombent en-dehors du champ d’application de la directive, rien n’empêche un Etat membre d’appliquer ces dispositions à des domaines non harmonisés. En plus, il s’agit d’extensions extrêmement judicieuses, pensons notamment aux abus à ce sujet par des transporteurs aériens, notamment « low cost ».


Howald, le 22 mai 2013