Aller au contenu Aller au pied de page

Dossiers européens

Nos thèmes

Les monnaies virtuelles « premium » utilisées dans les jeux vidéo pousseraient-elles les « gamers » à la dépense ?

Le BEUC et 22 organisations de consommateurs ont alerté la Commission européenne sur les pratiques déloyales des jeux vidéo incitant à la dépense via des monnaies virtuelles « premium ». Ils demandent plus de transparence et protection, notamment pour les mineurs.
06 novembre 2024
©Alex Photo Stock/shutterstock.com

C’est en tout cas ce que le BEUC (Bureau Européen des Unions de Consommateurs) – dont l’ULC est membre fondateur – et 22 organisations de consommateurs de 17 pays ont dénoncé le 12 septembre dernier en déposant une alerte auprès de la Commission Européenne et du Réseau européen des autorités de protection des consommateurs (« Réseau CPC ») concernant des pratiques considérées comme déloyales dans les principaux jeux vidéo1 tels que Fortnite, EA Sports FC 24, Minecraft et Clash of Clans.

Leur analyse conclut que l’industrie des jeux vidéo enfreint la législation européenne de protection des consommateurs en poussant les « gamers » à la dépense via une utilisation déconnectée de la réalité des monnaies de jeu virtuelles dites « premium » («premium in-game currencies»)2. Les autorités sont exhortées à veiller à ce que les entreprises dénoncées respectent les règles et offrent aux consommateurs des environnements de jeu sûrs.

Plus précisément, le BEUC et ses membres3 ont identifié les points d’infraction suivants :

  • Les consommateurs ne peuvent pas clairement voir le coût réel des monnaies et articles virtuels. Aussi, les monnaies virtuelles ne sont vendues qu’en lots/packs dont le prix est toujours nettement supérieur à la valeur de l’objet (arme, habit, etc.) convoité. Ainsi, comme le relève nos confrères de l’UFC-Que-Choisir4, dans le jeu Fortnite, le consommateur doit acheter un pack de 1.000 V-bucks pour obtenir la "carapace de héros" qui coûte 400 V-bucks, soit 2,5 fois le prix affiché. Autre exemple, dans le jeu pour smartphone « Clash of Clans », le prix pour 10 gemmes varie entre 9 et 15 centimes selon le nombre de packs achetés, le taux de change ne pouvant être calculé précisément que si le consommateur achète toujours exactement le même pack. Ces pratiques altèrent de manière significative la liberté de choix du consommateur, d’autant que même si la somme restante de monnaie virtuelle n'est pas perdue, elle sera souvent insuffisante pour l’achat d’un nouvel objet, poussant le consommateur vers la tentation de recharger constamment son portefeuille de monnaie virtuelle.
  • Les consommateurs sont souvent privés de leurs droits lorsqu'ils utilisent des monnaies de jeu virtuelles dites « premium », alors qu’elles sont liées à des conditions déloyales au seul bénéfice des développeurs de jeux, qui se permettent notamment de : (i) retirer des fonctionnalités des jeux à tout moment (les consommateurs perdant alors leur contenu, y compris leurs monnaies), (ii) modifier unilatéralement la valeur des articles des jeux (y compris des monnaies) sans en informer systématiquement les consommateurs ; (iii) nier l'existence d'une garantie légale ou d’un droit de rétractation ou de remboursement ; (iv) collecter les données personnelles des consommateurs par le biais de formulations vagues et/ou confuses (telles que «personnalisez votre expérience de jeu» et similaires) susceptibles d'induire les consommateurs en erreur.
  • Les mineurs (enfants et adolescents) sont encore plus vulnérables aux tactiques de manipulation alors qu’ils ont une culture financière limitée et sont facilement influencés par les monnaies virtuelles.
  • Les entreprises qui prétendent que les joueurs préfèrent les monnaies de jeu virtuelles dites « premium » dans les jeux ont tort alors que de nombreux consommateurs trouvent cette étape inutile et trompeuse et préfèreraient acheter des articles directement en monnaie réelle.5

 

©Michael Moloney/shutterstock.com

 

Cette thématique est d’autant plus importante que plus de la moitié des consommateurs de l'UE jouent régulièrement à des jeux vidéo - et les mineurs encore plus (84 % des 11-14 ans, qui dépensent en moyenne 39 euros par mois en achats dans les jeux)6. En 2020, les achats dans les jeux ont généré plus de 50 milliards de dollars américains (environ 46 milliards d'euros) au niveau mondial, soit environ un quart des recettes du marché des jeux vidéo7. Le secteur des jeux vidéo génère plus de recettes provenant des achats dans les jeux que les industries du cinéma et de la musique réunies. Au cours des dernières années, les sociétés de jeux vidéo ont développé des modèles commerciaux reposant de plus en plus sur les achats dans les jeux. Un examen de 50 des jeux vidéo les plus joués en 2023 montre que 21 d'entre eux (42 %) contiennent des monnaies de jeu premium8. Sur ces 21 jeux, 8 ont une classification d'âge de 12 ans ou moins.

Pour mettre un frein à ses pratiques et en limiter les conséquences pour les consommateurs « gamers », tout particulièrement les mineurs, le BEUC réclame ainsi, à tout le moins :

  • Une transparence totale du prix des monnaies virtuelles dites «premium», via un affichage clair et facilement accessible (pour qu’elle soit bien remarquée et comprise), avec l’équivalence en monnaie réelle et locale avant tout achat.

  • Une désactivation des achats par défaut et dès la conception («by default and by design» - l’activation devant être un choix délibéré du consommateur), par souci de diligence professionnelle, et ce pour protéger en priorité les mineurs.

  • Une utilisation plus systématique du critère de «consommateur vulnérable9» (tel que défini à l’article 5 §3 de la Directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales) dans le secteur des jeux vidéo, alors que les consommateurs mineurs y sont massivement présents, quelle que soit la classification PEGI du jeu.

 

Cette action du BEUC fait d’ailleurs écho aux nombreuses réflexions actuellement en cours à travers l’Union Européenne pour une protection accrue des mineurs à l’heure du digital, comme en témoigne par exemple un projet de loi espagnol tout récent10 qui dispose que « les produits et services numériques doivent tenir compte, dès leur conception et par défaut, de l'intérêt supérieur de l'enfant et intègrer une perspective sexospécifique et intersectionnelle » ainsi que les Recommandations du BEUC11 pour un « internet plus sûr, plus privé et plus sécurisé pour les enfants dans les plateformes en ligne ».

Les problèmes signalés dans l’alerte du BEUC vont ainsi au-delà des jeux vidéo et s'appliquent également aux plateformes de médias sociaux et à d'autres places de marché. Le BEUC avait déjà signalé en 2021 que TikTok n'indiquait pas clairement la valeur de sa monnaie virtuelle. Il est donc essentiel de mieux faire respecter le cadre du droit de la consommation dans le secteur des jeux vidéo et de poursuivre la réglementation dans les années à venir12.

  1. À savoir Activision Blizzard, Electronic Arts, Epic Games, Mojang Studios, Roblox Corporation, Supercell et Ubisoft.
  2. Les monnaies virtuelles premium sont des monnaies virtuelles qui peuvent être achetées contre de l'argent réel, souvent dans le jeu ou dans un magasin d'applications. Elles peuvent prendre différentes formes telles que des gemmes, des points, des pièces, etc.
  3. Rapport de Forbrukerrådet (Conseil norvégien des consommateurs) “GET PLAYED, The true cost of virtual currency”, 09/2024.
  4. « Plainte européenne contre 7 éditeurs et leurs monnaies virtuelles », 12/09/2024, disponible ici : https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-jeux-video-plainte-europeenne-contre-7-editeurs-et-leurs-monnaies-virtuelles-n130982/
  5. “Predatory Monetisation ? A Categorisation of Unfair, Misleading and Aggressive Monetisation Techniques in Digital Games from the Player Perspective”, 10/2021, Journal of Business Ethics.
  6. Parlement européen, « Protection des consommateurs dans les jeux vidéo en ligne : une approche européenne du marché unique », janvier 2023.
  7. Statista, Video game market revenue worldwide in 2022, by segment (in billion U.S. dollars)
  8. https://store.steampowered.com/charts/bestofyear/BestOf2023?tab=3
  9. « Les pratiques commerciales qui sont susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique d'un groupe clairement identifiable de consommateurs parce que ceux-ci sont particulièrement vulnérables à la pratique utilisée ou au produit concerné en raison d'une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité, alors que l'on pourrait raisonnablement attendre du professionnel qu'il prévoie cette conséquence, sont évaluées du point de vue du membre moyen de ce groupe. »
  10. « Projet de loi organique espagnol pour la protection des mineurs dans les environnements numériques », notifié le 20/09/2024 à la Commission européenne
  11. “Towards a safer, more private and secure internet for children in online platforms (beuc.eu), BEUC’s input to the European Commission’s call for evidence under Article 28(1) of the Digital Services Act”, 30/09/2024
  12. Cf. notamment la publication récente du BEUC pour plus d'informations «Monetising Play : Réglementer les monnaies de jeu et les monnaies de primes in-app » disponible ici : https://www.beuc.eu/position-papers/monetising-play-regulating-game-and-app-premium-currencies.

Les articles abonnés sont lisibles dans notre magazine De Konsument

Dernière édition

de Konsument N°6/2025

17-09-2025

Consultation gratuite

Profitez d’une première consultation gratuite avec l’un de nos conseillers

Consultation gratuite

Profitez d’une première consultation gratuite avec l’un de nos conseillers

Ce site utilise des cookies et autres technologies similaires strictement nécessaires à son fonctionnement nécessitant des traitements de données à caractère personnel.

Pour plus d’informations, veuillez consulter notre Politique de confidentialité – Traitement et protection des données à caractère personnel