Au Luxembourg, 78% des commerçants s’approvisionnent à l’étranger, mais 77% dénoncent des restrictions territoriales de l’offre (RTO) qui limitent leur accès aux meilleures conditions. Ces pratiques faussent la concurrence, nuisent au consommateur et appellent une réponse européenne coordonnée.
78% des entreprises luxembourgeoises recourent à des fournisseurs localisés dans un autre Etat membre d’où l’importance d’obtenir les meilleures conditions en vue de la revente dans leurs magasins. Or, 77% se plaignent de restrictions territoriales de l’offre (RTO) comme p.ex. le fournisseur étranger qui empêche le commerçant de s’approvisionner librement dans le pays de son choix au sein de l’UE pour profiter des meilleures conditions de marché en termes de prix d’achat, de gammes de produit, etc1
Concurrence directe
Une étude pour le ministère de l’Economie2 confirme que : « Le commerce de détail luxembourgeois est très souvent en concurrence directe avec le commerce de détail limitrophe. Il s’avère cependant que cette concurrence puisse être biaisée par la pratique systématique de fabricants et/ou de leurs intermédiaires de refuser, en vertu de contrats d’exclusivité territoriale (restrictions territoriales de l’offre), aux commerçants luxembourgeois le libre accès à des réseaux d’approvisionnent de leur choix. Or, le consommateur luxembourgeois est demandeur de produits internationaux, et notamment de ses trois pays voisins. L’impossibilité pour certains commerçants luxembourgeois de choisir le circuit de distribution le plus efficient en termes de prix et d’adéquation des produits à la demande luxembourgeoise, peut représenter un désavantage compétitif considérable »
En pratique, les commerçants luxembourgeois sont redirigés vers des intermédiaires (filiales/grossistes) situés en Belgique alors que des conditions plus favorables auraient pu être obtenues en Allemagne ou en France3.
Le consommateur résidant dans notre pays peut se rendre lui-même dans les magasins des pays voisins proches, l’Etude 4 Frontières4 indiquant que pour les produits alimentaires et non alimentaires courants, l’Allemagne présente le prix moyen le plus bas de la Grande Région et que la Belgique reste le pays le plus cher. Le Luxembourg est le pays le plus compétitif dans le rayon liquides. Les produits frais sont offerts au meilleur prix en France tandis que les rayons épicerie, droguerie-parfumerie-hygiène (DPH) et non alimentaire sont les moins chers en Allemagne. Une mise à jour de cette étude datant de 2020 serait la bienvenue.
Une étude belge publiée en décembre 20235, n’incluant pas le Luxembourg, arrive aux mêmes constats : les prix de produits de marque identiques sont toujours plus élevés en Belgique que dans les pays voisins (Allemagne, France et Pays-Bas). Elle soulève aussi la problématique des RTO de même qu’une étude pour le gouvernement néerlandais ainsi qu’un « fact-finding » récent de la Commission Européenne, faisant suite à une enquête antérieure du Benelux6.

Habitudes d’achat
Au niveau des habitudes d’achat des résidents luxembourgeois7 seulement 60% achètent tous leurs produits alimentaires dans le pays. Cela tombe à 51% pour les produits d’hygiène et de beauté, et à 38% pour les textiles et l’habillement. 7 résidents sur 10 qui achètent des produits alimentaires et des boissons à l’étranger s’y rendent au moins une fois par mois. En termes de destination, l’Allemagne est prédominante dans toutes les catégories, notamment pour les produits d’hygiène et de beauté.
Le critère le plus important en faveur des achats à l’étranger est le prix !
En accord avec nos collègues belges et néerlandais, l’ULC a signalé son soutien à toutes les mesures utiles pour combattre les RTO…. à condition que les consommateurs en profitent in fine par un impact positif sur les prix et l’offre de produits. Si les décideurs souhaitent favoriser les magasins de proximité de plus en plus sous la pression du commerce en ligne, y compris pour la consommation courante, il faut agir.
Selon le fact-finding de la Commission Européenne, les producteurs de marque invoquent en premier lieu des différences d’emballages et d’étiquetage comme motifs légitimes de RTO. Faut-il rappeler que dès 20078 le droit européen a libéralisé les quantités nominales des produits en préemballages au motif que « les quantités nominales libres augmentent la marge de manœuvre des producteurs lorsqu'il s'agit de proposer des marchandises répondant aux goûts des consommateurs et stimulent la concurrence en ce qui concerne la qualité et les prix sur le marché intérieur ».
Plus récemment la modernisation des dispositions européennes sur les pratiques commerciales déloyales9 a tracé un cadre qui devrait aussi guider les discussions en cours sur les RTO : « .. droit du professionnel d’adapter les biens de la même marque pour différents marchés géographiques en raison de facteurs légitimes et objectifs… ainsi que droit des professionnels d’offrir des biens de la même marque dans des emballages de poids ou de volume différents sur des marchés géographiques différents. Les autorités compétentes devraient évaluer si les consommateurs peuvent déceler facilement une telle différenciation sur la base de la disponibilité et de l’adéquation des informations. Il importe que les consommateurs soient informés de l’existence d’une différenciation des biens fondée sur des facteurs légitimes et objectifs. Les professionnels devraient pouvoir choisir librement parmi différentes manières qui permettent aux consommateurs d’accéder aux informations nécessaires. Les professionnels devraient généralement privilégier des solutions autres que l’indication de mentions sur l’étiquette des biens. »
C’est donc le souci d’une bonne information des consommateurs qui prime, non des restrictions de distribution au gré des producteurs pour éviter des soi-disant confusions des consommateurs. A titre d’exemple inacceptable de RTO signalé à la Commission Européenne : le distributeur est empêché d’utiliser un auto-collant d’information sur le produit dans la langue obligatoire dans le pays de vente aux consommateurs.
Un cas flagrant
Un cas flagrant et symptomatique a été lourdement condamné pour abus de position dominante par la Commission Européenne en 2019 : le brasseur AB InBev a tout fait pour empêcher des importations moins chères de la marque Jupiler des Pays-Bas vers la Belgique notamment en modifiant les emballages (en enlevant la version française de l’information obligatoire de l’étiquette et en modifiant le design et la taille des canettes de bière). De nombreuses RTO n’atteignent cependant pas le seuil de position dominante du producteur (40% du marché) et il manque souvent les preuves de restrictions verticales anticoncurrentielles.
Ainsi le Conseil de la concurrence luxembourgeois conclut dans son Rapport d’enquête dans le secteur de la grande distribution en janvier 2019 que : « …Les réponses aux demandes de renseignements, analyse de contrats, documentations fournies par les distributeurs, entretiens physiques n'ont permis de constater l'existence de restrictions verticales condamnables sous l'angle du droit de la concurrence. En effet, l'analyse des relations commerciales et plus particulièrement celle des restrictions verticales entre fournisseurs et grossistes / importateurs et distribution n'a pu mettre en exergue de restrictions caractérisées ou interdites… Si de telles restrictions devaient exister, des pièces les documentant à suffisance de droit n'ont pas été mises à disposition du Conseil. »
Les discussions sur les meilleurs instruments supplémentaires au droit de la concurrence sont maintenant en cours au niveau européen sous la pression de huit Etats membres dont les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. L’adoption de la « Single Market Strategy 2025 » de la Commission (consultation en cours) devrait préciser le cadre des initiatives futures pour damer le pion aux RTO.
- « 30 ans de marché unique : enquête auprès des citoyens et entreprises luxembourgeois » avril-mai 2023
- « Etude 4 Frontières » Edition 2020 Analyse comparative des prix de produits identiques dans les grandes surfaces alimentaires au sein de la Grande Région
- VEU Commission study on territorial supply constraints in the EU retail sector ( July 2020)
- Ibidem note 2
- Observatoire des prix « Comparaison du niveau des prix à la consommation des produits en Belgique, en Allemagne, en France et aux Pays-Bas » SPF Economie
- « Des restrictions territoriales de l’offre dans le commerce de détail en Belgique, Pays-Bas et Luxembourg » février 2018
- ILRES « Les habitudes d’achat des résidents du Luxembourg » octobre 2022
- Directive 2007/45/CE du 5 septembre 2007
- Directive (UE) 2019/2161 du 27 novembre 2019