Les débats demeurent houleux autour du Nutri-Score, avec parfois de franches avancées comme ces dernières semaines en France, succédant à/suivies de déroutes tout aussi frappantes, qui illustrent bien la progression décousue de l’implémentation du Nutri-Score dans les états européens.
Pour rappel1, ce logo en 5 lettres et couleurs, apposé sur la face avant des produits alimentaires, est un système d’étiquetage nutritionnel créé par Santé Publique France en 2017, qui prend en compte la teneur en nutriments et aliments à favoriser vs. les nutriments à limiter. Sept pays en Europe (France, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Espagne, Suisse et Luxembourg – le Portugal l’ayant adopté en avril 2024 avant de l’abandonner 2 mois plus tard par suite de revirements politiques internes) l’ont jusqu’à maintenant implémenté pour utilisation par leurs exploitants du secteur alimentaire sur la base du volontariat.
Un algorithme de calcul amélioré est entré en vigueur en 2024 (y compris au Luxembourg) pour répondre à certaines critiques en différenciant mieux la qualité nutritionnelle au sein de plusieurs catégories de produits (un exemple parlant est désormais la prise en compte de la présence d’édulcorants dans les boissons en remplacement du sucre2). Ceci au grand dam de certains exploitants, comme Danone, qui a par exemple vite annoncé retirer le logo de ses yaourts à boire dont le score avait fortement baissé3.
Un moment envisagé comme possible étiquetage harmonisé et obligatoire au niveau européen dans le cadre de la stratégie « De la ferme à la table » de la Commission européenne4, cette dernière a fait marche arrière dès 2022 et n’a toujours pas proposé un étiquetage qui puisse faire l’unanimité. C’est le scandale de la « mise sur pause » de cette stratégie (y compris la révision du Règlement européen sur l’étiquetage, dit « Règlement INCO »5), tel que largement dénoncé par le Bureau européen des unions de consommateurs6 (BEUC – dont l’ULC est membre fondateur et soutient les récriminations) notamment. Un rapport tout récent de la Cour des comptes européenne7 (voir page 5) tire des conclusions similaires en constatant que la « coexistence de plusieurs systèmes [d’étiquetage nutritionnel] dans l’UE peut entraîner une fragmentation du marché et dérouter les consommateurs. »
En France, de tous récents évènements vont pourtant dans le sens du Nutri-Score, alors que l’Assemblée nationale avait voté des dispositions rendant obligatoire son utilisation pour tous les produits8. Contesté dans la foulée par le gouvernement9, les dispositions en question ont finalement peu de chance d’être adoptées – ceci alors même qu’un collectif de chercheurs a demandé au premier ministre en octobre dernier de prendre fermement position au sein de l’Europe en faveur de ce logo10. Autre exemple, l’annonce du géant Carrefour qui affichera désormais d’office le logo sur tous les produits en vente sur son site (sauf opposition formelle des exploitants, qui sera par contre notifiée aux clients)11. Carrefour a par ailleurs invité expressément tous ses fournisseurs à apposer le logo sur leurs produits, faute de quoi Carrefour le calculera « à leur place ». On ne peut que saluer le progressisme de l’enseigne, surtout face à des géants a priori récalcitrants tels Ferrero qui peuvent s’appuyer sur les manœuvres toutes officielles de leur pays pour faire barrage au Nutri-Score12.
Dans ce contexte fort houleux, l’ULC a participé au premier Forum des utilisateurs du Nutri-Score organisé le 2 octobre dernier par le Comité de pilotage constitué de chacun des pays ayant adopté le Nutri-Score.
A cette occasion, les exploitants participants (représentés par la Chambre des Métiers pour le Luxembourg) ont confirmé leur soutien de principe au système… mais dans certaines limites : ils rejettent notamment tout nouveau changement à l’algorithme dans un futur proche, sous peine que leurs investissements (notamment d’étiquetage) ne soient pas rentabilisés. Le Comité de pilotage a confirmé qu’une nouvelle modification de l’algorithme n’était pas prévue tout en rappelant que de tels changements étaient dictés par les développements scientifiques, qui ne peuvent être tus pour de seules raisons économiques.
De leur côté, les associations de consommateurs, l’ULC en tête, ont surtout souligné le besoin de sensibilisation accrue autour du Nutri-Score, de préférence à l’échelle européenne, ou tout du moins de manière coordonnée entre les pays participants. En effet, les mesures en ce sens varient largement entre pays avec par ex. en France ou aux Pays-Bas, de larges campagnes de communication télévisées, en Allemagne, la distribution de flyers – alors qu’au Luxembourg, il n’existe qu’une modeste page d’information sur le site de l’Administration luxembourgeoise vétérinaire et alimentaire (ALVA)13.
En tout état de cause, bien que manifestement de bonne volonté, le Comité de pilotage a reconnu avoir peu de moyens de pression pour prôner l’utilisation obligatoire du Nutri-score au niveau européen ni même à freiner les pratiques délétères de pays comme l’Italie ou la Roumanie (mentionnées ci-dessus).
Qu’en est-il alors du Luxembourg dans tout cela ? La volonté politique autour de l’utilisation du Nutri-Score semblait bien réelle à son implémentation en mai 2021, mais une première évaluation mandatée par le MPC (ancien Direction pour la Protection des Consommateurs) en juillet 2023, a mis en évidence les limites du système en place14. Sur base des résultats de cette évaluation, et des échanges tenus lors du Forum, l’ULC a appelé l’ALVA (sans réponse satisfaisante de cette dernière pour l’instant) à mettre en place les mesures suivantes à court resp. à moyen terme :
- Publier/confirmer la liste des exploitants luxembourgeois participants au Nutri-Score (et pas seulement ceux ayant demandé l’autorisation de participer) et au projet-pilote pour l’affichage du Nutri-Score aux denrées alimentaires non pré-emballées15;16
- Compléter la page dédiée au Nutri-Score pour la rendre plus didactique (sur le modèle par exemple de celle des autorités suisses17), notamment quand à la signification du logo ;
- Démarcher proactivement les autres pays participants pour (ré-)utiliser (ou faire des renvois vers) leurs outils/campagnes de communication (vidéos, spots TV, posts réseaux sociaux, etc.) ;
- Mettre en place des campagnes de sensibilisation (différenciées en fonction de l’âge ou du sexe suivant les conclusions de l’évaluation de 2023) pour les consommateurs et les exploitants;
- Mettre en place des mesures renforcées d’accompagnement des exploitants pour leur faciliter la connaissance et l’application du Nutri-Score ; et
- Défendre auprès des instances européennes la (poursuite de la) révision prioritaire du Règlement INCO et la création d’un logo nutritionnel européen obligatoire (qui reprendrait les caractéristiques principales du Nutri-Score voire en prévoirait l’utilisation obligatoire).
- Site Santé Publique France, Dossier thématique « Nutri-Score »: Nutri-Score | Santé publique France
- Site Santé Publique France, Les Actualités, 2024 « Nutri-Score : le point sur les nouveautés 2024 » Nutri-Score : le point sur les nouveautés 2024 | Santé publique France
- Cf. article du 09/10/2024 sur le site ULC : Après des critères plus stricts - Danone retire le Nutri-Score de certains produits | ULC
- « Stratégie "De la ferme à la table" pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l'environnement », Communication de la Commission européenne du 20/05/2020.
- Règlement (UE) n°1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires.
- Lettre BEUC-X-2023-116_BEUCs_vision_for_a_Strategic_Dialogue_on_the_Future_of_Food_in_the_EU.pdf, 22/09/2023
- Rapport spécial « Étiquetage des denrées alimentaires dans l’UE », Cour des comptes européenne, 25/11/2024 (accessible ici : Rapport spécial 23/2024: Étiquetage des denrées alimentaires dans l’UE)
- Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, Amendements n°1082 et 1084 adoptés le 04/11/2024 (voir aussi : Alimentation : les députés veulent rendre obligatoire l'affichage du Nutri-Score | LCP - Assemblée nationale).
- Intervention de la Ministre de la santé Genevière Darrieussecq, 13/11/2024 accessible ici : Le nouveau nutriscore européen "ne sera pas obligatoire" en France, affirme la ministre de la Santé
- Tribune Rendre le Nutri-Score obligatoire en Europe est une urgence de santé publique !, Journal Le Monde, 24/10/2024.
- Article L’affichage du Nutri-Score devient presque obligatoire sur le site web de Carrefour – Libération, 12/11/2024.
- Cf. ici pour plus de détails : Face à la science, les politiciens italiens font appel au « gastro-nationalisme » pour bloquer Nutri-Score en Europe. Une enquête de Mediapart – NUTRI-SCORE
- Page dédiée de l’ALVA accessible ici : FOP et Nutri-Score - Sécurité alimentaire - Luxembourg
- Bericht „Monitoring der Nutzung des Nutri-Score Labels in Luxemburg“, 31/07/2023 (accessible ici)
- Cf. Projet de Règlement grand-ducal portant modification du règlement grand-ducal du 7 mai 2021 relatif à l'utilisation du logo Nutri-Score, qui prévoit l’utilisation du Nutri-Score sur les denrées alimentaires non-préemballées au Luxembourg pour une durée limitée, sous forme de projet-pilote (soumis à autorisation ministérielle) et de façon volontaire.
- A ce jour, l’ALVA a confirmé que seuls 7 exploitants luxembourgeois ont demandé à pouvoir utiliser le Nutri-Score, et seul 1 exploitant a soumis un projet-pilote pour autorisation (pour comparaison, ils sont 1406 exploitants à utiliser le Nutri-Score en France…).
- Accessible ici : Nutri-Score : manger équilibré, tout simplement