Aller au contenu Aller au pied de page

Dossiers européens

Nos thèmes

La réglementation contre la fast fashion sous l’œil critique de l’Europe

La France veut freiner la fast fashion avec une loi ambitieuse pour réduire l’impact environnemental du textile. Mais Bruxelles et plusieurs États craignent une fragmentation du marché et un flou juridique.
30 octobre 2025
©Antonello Marangi/shutterstock.com

Face à la déferlante de la fast fashion, la France entend serrer la vis. Paris a notifié à la Commission européenne un projet de loi ambitieux visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile, responsable d’environ 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Si l’intention est saluée, Bruxelles et plusieurs États membres – Luxembourg, Pologne, Suède – redoutent une fragmentation du marché intérieur et une insécurité juridique. La France doit suspendre l’adoption de sa loi jusqu’au 30 décembre, le temps d’un dialogue européen crucial sur la régulation de la fast fashion.

La France a notifié1 à l’Europe sa proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile (bien relayée dans les médias, y compris dans notre pays) en précisant : « Ainsi que le rappellent les parlementaires à l’origine de cette proposition de loi, jamais autant de vêtements neufs n’ont été mis sur le marché ... Cet emballement coïncide avec la montée en puissance de pratiques industrielles et commerciales relevant de la mode ultra express, lesquelles se caractérisent par la mise sur le marché d’un très grand nombre de nouvelles références de produits neufs et un manque d’incitation du consommateur à entretenir et conserver ses vêtements. L’industrie du textile et de l’habillement est responsable, à l’échelle mondiale, d’environ 10 % des émissions de gaz à effet de serre, soit davantage que l’ensemble des vols et transports maritimes internationaux. Ce texte a donc pour but de limiter le phénomène de la mode express. »

Obligation de « standstill »

Toute proposition nationale dans un domaine non harmonisé ou qui dépasse les dispositions européennes doit être notifiée avec une obligation de « standstill » de trois mois permettant à la Commission et à tout autre Etat membre d’émettre des objections. En l’occurrence, non seulement la Commission mais le Luxembourg, la Pologne et la Suède ont transmis des critiques à la France. Le dialogue va donc se poursuivre, la France devant suspendre toute adoption définitive de sa loi jusqu’au 30 décembre.

Extrait des observations : « Les autorités luxembourgeoises tiennent avant tout à souligner que la protection de l’environnement constitue un objectif essentiel pour le Luxembourg et que le phénomène de la mode ultra expresse génère justement des impacts négatifs pour l’environnement. Ainsi les autorités luxembourgeoises soutiennent pleinement les efforts en cours au niveau européen afin d’introduire des mesures harmonisées pour atteindre ce même objectif, car cette problématique concerne l’ensemble de l’Union européenne …Une approche par initiatives nationales est susceptible de fragmenter le marché intérieur tout en n’ayant pas l’efficacité escomptée. »

 

©Antonello Marangi/shutterstock.com

 

Pour la suite de ce dossier, notamment pour voir si l’Europe sera en mesure d’embrayer avec des propositions harmonisées efficaces, les vingt pages d’arguments développés par la Commission Européenne méritent un examen et un débat attentifs.2

Avant toute critique, « la Commission prend note avec satisfaction du fait que le projet notifié constitue une proposition ambitieuse, s’inscrivant pour l’essentiel dans les objectifs des politiques et stratégies de l’Union européenne dans le domaine de l’économie circulaire, de la production et de la consommation durables de textiles, en particulier le plan d’action en faveur de l’économie circulaire, la stratégie de l’Union européenne pour des textiles durables et circulaires, ainsi que la révision ciblée de la directive 2008/98/CE relative aux déchets. »

Pas conformes au cadre harmonisé actuel

Ceci étant, pour la Commission les dispositions françaises ne sont pas conformes au cadre harmonisé actuel, plus particulièrement les directives sur le commerce électronique et les déchets ainsi que le fameux Règlement sur les services numériques (DSA). Ainsi les obligations pour les plateformes d’afficher des messages de sensibilisation si leurs services sont utilisés pour faciliter la vente de produits relevant de pratiques qualifiées de mode ultra express ou encore d’indiquer de façon visible, lisible et dans la même taille de police que le prix, le pays de fabrication de chaque produit ou encore l’interdiction de la publicité et des influenceurs pour des produits et marques de la mode ultra express, ne sont pas couvertes par le droit européen. La Commission réserve en fait sa position en attendant que les définitions par décrets soient notifiées.

Au cœur de tout le dispositif français figure la définition de mode ultra express : « Relèvent de la mode ultra express les pratiques industrielles et commerciales des producteurs qui ont pour conséquence la diminution de la durée d’usage ou de la durée de vie de produits neufs en raison de la mise sur le marché d’un nombre élevé de références de produits neufs ou de la faible incitation à réparer ces produits. »

 

©aslysun/shutterstock.com

 

La Commission fait remarquer que « la durée de vie attendue est également déterminée par la qualité intrinsèque du produit, un aspect qui n’est pas pris en compte dans le projet notifié. En outre, il n’existe pas non plus de preuve claire que plus le nombre de références de nouveaux produits est élevé, plus la durée d’utilisation ou la durée de vie de ces produits est courte… La Commission suggère donc, par souci de clarté et de conformité avec le droit de l’Union, que les règles spécifiques envisagées définissent clairement les opérateurs de la mode ultra express, en précisant avec rigueur et à l’aide de critères objectifs et solides la manière dont les calculs doivent être effectués, et par qui… Il demeure incertain de quelle manière les fournisseurs de plateformes en ligne sont censés déterminer s’ils remplissent les conditions précitées, en ce qui concerne le volume de nouveaux produits proposés ainsi que la vérification de l’identité du producteur et de tout autre canal de vente, d’une manière qui ne les obligerait pas à surveiller de façon générale le contenu disponible sur leurs services ni à entreprendre des démarches supplémentaires de collecte d’informations. »

Absence de définition précise du terme « mode ultrarapide »

Les mêmes soucis sont exprimés par la Pologne : « L’absence de définition précise du terme « mode ultrarapide » est préoccupante, car ce terme renvoie à des critères vagues (« un grand nombre de nouveaux modèles de produits », « un faible niveau d’incitations à la réparation»). Ces ambiguïtés compliquent la tâche des opérateurs, à savoir évaluer l’ampleur du risque et prévoir les conséquences de la réglementation, ce qui pourrait entraîner une insécurité juridique et décourager les activités transfrontalières. Des éclaircissements sont requis pour savoir si les solutions sont conformes aux dispositions existantes et prévues du droit de l’Union. »

Pour la Suède : « Le projet de loi français sur la mode éphémère constitue un exemple clair de législation nationale qui, malgré de bonnes intentions sur les plans de l’environnement et de la durabilité, pose problème à plusieurs égards au regard du droit de l’Union européenne. La France a justifié la proposition par des raisons liées à la protection de l’environnement. Toutefois, il n’existe aucune analyse d’impact ni aucune motivation quant à la question de savoir si les obligations très lourdes imposées aux entreprises sont nécessaires pour atteindre l’objectif de la proposition. »

La balle est maintenant dans le camp de la France qui doit informer la Commission et les autres Etats membres des suites qu’elle a l’intention de donner aux critiques et suggestions émises. Nous comptons sur un dialogue constructif impliquant les ONG dont les associations de consommateurs regroupées au sein du BEUC.

---

  1. TRIS – European Commission « Prévention des obstacles techniques au commerce » Notification 2025/336/FR
  2. Le site TRIS est ouvert au public et invite des observations des milieux intéressés, y compris d’associations de consommateurs, sur les mesures nationales notifiées

Les articles abonnés sont lisibles dans notre magazine De Konsument

Dernière édition

de Konsument N°7/2025

28-10-2025

Consultation gratuite

Profitez d’une première consultation gratuite avec l’un de nos conseillers

Consultation gratuite

Profitez d’une première consultation gratuite avec l’un de nos conseillers

Ce site utilise des cookies et autres technologies similaires strictement nécessaires à son fonctionnement nécessitant des traitements de données à caractère personnel.

Pour plus d’informations, veuillez consulter notre Politique de confidentialité – Traitement et protection des données à caractère personnel