Le présent avis se limite aux modifications relatives aux clauses abusives.
1. Observations générales
Le commentaire du projet de loi rappelle que « le droit luxembourgeois compte, en Europe, parmi les droits nationaux précurseurs, en disposant déjà d’une réglementation antérieurement à la directive 1993/13/CEE. » Notre pays a été, en effet, l’un des pionniers concernant la protection contre les clauses abusives en adoptant dès 1983 une première loi relative à la protection juridique des consommateurs. Le mérite en revient au gouvernement de l’époque qui ne s’est pas plié aux fortes pressions des milieux professionnels. Dès 1978 le gouvernement avait tracé la voie : « L’autonomie des volontés ne saurait être reconnue qu’autant qu’il s’agit de volontés effectivement libres. L’abus consistant de la part d’une personne économiquement, techniquement et intellectuellement forte à imposer sa volonté à un partenaire qui n’est pas à même d’y opposer une volonté d’égale force, constitue un détournement du droit… »1 L’Europe n’a introduit une harmonisation minimale des clauses abusives qu’en 1993 – elle n’a pas évolué depuis- qui n’a pas empêché notre législateur de maintenir lors de la transposition en 1996 des dispositions plus protectrices des consommateurs. Cette genèse de notre Code de la consommation montre qu’une politique minimaliste (« toute la directive, rien que la directive ») n’a pas toujours guidé notre législateur. Aller plus loin que le minimum imposé par l’Europe n’a pas nui à notre économie ouverte aux échanges transfrontaliers.
2. Observations particulières
L’ULC marque son accord avec les modifications proposées par les Articles 4 et 5 du projet de loi qui lui donnent pleine satisfaction tout en proposant une modification additionnelle.
Bien que nos dispositions sur les clauses abusives soient solidement ancrées, une faille importante persiste concernant les clauses pénales. Selon la directive 93/13/CEE, peut être déclarée abusive une clause qui impose au consommateur qui n’exécute pas ses obligations une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé.
Cette clause ne figure pas parmi les 24 clauses à considérer comme abusives, à savoir « des clauses qui sont per se abusives et pour lesquelles il ne faut pas démontrer qu’elles entraînent un déséquilibre entre les droits et obligations au préjudice du consommateur. »2 Cette lacune a amené nos tribunaux, du moins en appel, à conclure que « le législateur n’a pas jugé utile de mentionner les clauses pénales abusives dans la liste indicative, mais non exhaustive, des clauses considérées comme abusives...Il faut en induire que le législateur a voulu soustraire la clause pénale du régime des clauses abusives… ». Par conséquent, nos tribunaux appliquent l’article 1152 alinéa 2 du Code civil selon lequel « le juge peut modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue (entre les contractants), si elle est manifestement excessive ou dérisoire… ». Ainsi dans un litige opposant des consommateurs à un professionnel pour rupture de contrat, la Cour d’appel a ramené l’indemnité à payer par les consommateurs à 30% des honoraires pour les prestations non encore fournies. Or, en jugeant que la pénalité de 60% prévue par le contrat était manifestement excessive, la Cour aurait dû purement et simplement écarter cette clause sans condamner les consommateurs à payer la moindre indemnité à l’architecte.
Telle est, en effet, la sanction imposée par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) en matière de clause pénale abusive. Par un arrêt du 30 mai 20133 comme bien expliqué dans le commentaire du projet de loi, la Cour européenne a censuré le code civil néerlandais qui conférait comme le code civil luxembourgeois, le pouvoir au juge de modérer la pénalité stipulée si l’équité l’exige manifestement : « La directive 93/13 ne permet pas au juge national, lorsqu’il a établi le caractère abusif d’une clause pénale dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de se limiter, comme l’y autorise le droit national, à modérer le montant de la pénalité mise par cette clause à la charge du consommateur, mais lui impose d’écarter purement et simplement l’application de ladite clause à l’égard du consommateur. » Cette position très ferme et constante de la Cour européenne est justifiée comme suit : s’il était loisible au juge national de réviser le contenu des clauses abusives, une telle faculté affaiblirait l’effet dissuasif exercé sur le professionnel.
En introduisant une 25e clause noire (« Les clauses imposant au consommateur qui n’exécute pas ses obligations une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé »), l’Art.5 du projet remédie à l’infraction manifeste du droit luxembourgeois aux obligations du droit communautaire. En réponse à la question n°7779 de Monsieur Sven Clement, Madame Paulette Lenert, Ministre de la Protection des Consommateurs, avait précisé que ni la Commission Européenne ni la CJUE n’avaient critiqué ce point. Or, ce manque de sanction communautaire est dû simplement à l’absence de plainte auprès de la Commission ou de recours préjudiciel d’un juge luxembourgeois. La question de la responsabilité de l’Etat luxembourgeois pour les préjudices causés se pose, d’autant plus que l’arrêt de la CJUE dans l’affaire C-488/11 date d’il y a déjà dix ans et a une portée générale.
En biffant le terme que constituent « notamment » des clauses abusives interdites de manière irréfragable (per se), le projet enlève une certaine confusion comme soulignée par la doctrine, et redonne de la vigueur à la disposition générale de clause abusive de l’Art. L.211-2. Une communication publique efficace sur sa signification et son importance s’impose.
Toutes les circonstances qui entourent la conclusion d’un contrat doivent notamment être considérées. Ainsi une pénalité pour annulation d’un contrat, même si elle n’est pas jugée comme disproportionnellement élevée, peut toujours être sanctionnée si l’information et la transparence de ladite clause sont insuffisantes. La Cour de Cassation belge a ainsi jugé dans le cas d’une pénalité de 30% pour annulation par le consommateur d’une nouvelle cuisine qu’en l’occurrence il s’agit de « conditions inhabituelles ou exceptionnelles. Il ne suffit pas qu’elles soient imprimées au verso du bon de commande. Le vendeur aurait dû informer expressément son client qu’il devait payer 30% du prix de vente en cas de résiliation du contrat… » (Cour de Cassation 18 juin 2021). L’Art. 4 du projet répond à la CJUE, à savoir « la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la directive assure aux consommateurs justifient, en outre, que ledit juge soit tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle ». Cette modification s’inspire du Code de la consommation français et consacre la jurisprudence nationale. « Conformément au droit européen, le juge luxembourgeois doit relever d’office la présence de clauses abusives lorsqu’il statue dans le cadre d’un litige de consommation. Il serait cependant souhaitable que cette obligation fasse l’objet d’une consécration législative en droit luxembourgeois sur le modèle de l’article R632-1 du Code de la consommation français » (Me Vincent Richard dans « La mise en œuvre du droit de la consommation à Luxembourg », Annales du Droit Luxembourgeois, 2020).
L’Art. 5 introduit une 26e clause noire, à savoir « les clauses autorisant le professionnel à mettre fin sans un préavis raisonnable à un contrat à durée indéterminée, sauf en cas de motif grave. » Dans ce contexte, l’ULC rappelle la réponse de Madame Lenert à la question n° 5933 de Madame Tess Burton :
« L’honorable députée s’enquiert de la possibilité d’encadrer la reconduction tacite des contrats telle qu’elle existe actuellement au Luxembourg. Le ministère de la Protection des consommateurs n’a pas connaissance d’une estimation du nombre des contrats reconduits tacitement au Luxembourg suite à une résiliation tardive de la part du preneur de contrats. Le Code de la consommation déclare comme abusives, en conformité avec les dispositions de la directive 93/13/CEE concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, ‘les clauses, selon lesquelles le contrat est prorogé pour une durée supérieure à un an si le consommateur ne le dénonce pas à une date déterminée’( article L. 211-3 point 9).
Il n’empêche que l’Union luxembourgeoise des consommateurs ainsi que le Centre européen des consommateurs consultés dans le cadre de la présente question parlementaire font état de dossiers dont ils ont eu à traiter liés à la reconduction tacite des contrats. J’estime à cet égard qu’avant toute autre initiative éventuelle en la matière, une information adéquate du consommateur s’impose afin d’attirer son attention sur les règles applicables quant à la reconduction de ses contrats. » Dans ce but, l’ULC sollicite une modification de notre Code s’inspirant du droit français. Pour éviter que le consommateur oublie de se désabonner, le Code de la consommation français prévoit « Pour les contrats de prestations de services conclus pour une durée déterminée avec une clause de reconduction tacite, le professionnel prestataire de services informe le consommateur par écrit, par lettre nominative ou courrier électronique dédiés, au plus tôt trois mois et au plus tard un mois avant le terme de la période autorisant le rejet de la reconduction, de la possibilité de ne pas reconduire le contrat qu'il a conclu avec une clause de reconduction tacite.
Cette information, délivrée dans des termes clairs et compréhensibles, mentionne, dans un encadré apparent, la date limite de non-reconduction.4 » A défaut le consommateur peut mettre gratuitement un terme au contrat, à tout moment et sans délai de préavis à compter de la date de reconduction.
HOWALD le 17 juillet 2023
- « Genesis of consumer law in Luxembourg” par Bob Schmitz dans legimag N°19, octobre 2017
- Cour d’appel du 29 mars 2017
- Affaire C-488/11
- Article L215-1 du Code la consommation français